Textes

Philippe Vacher

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Entre nature et culture

Nous savons que la mort de l'art n'est qu'un mythe, comme celui de la fin des religions. Un nouvel esprit va inaugurer ce siècle en prônant un nouveau langage, en rapport avec les équilibres, les forces de la nature et influer sur une création de plus en plus éclectique puisant à toutes les sources culturelles, en particulier dans la pensée primitive revisitée ou dans la pensée orientale dont la sensibilité fut beaucoup moins matérialiste que la nôtre. L'oeuvre était alors reconnue comme médiatrice entre l'esprit du créateur et la nature à laquelle il appartenait. Elle pouvait réconcilier des aspects contraires et complémentaires (yin et yang), s'affirmer à la fois comme manifestation du repos et du mouvement, expression des forces constructives et déconstructives à l'oeuvre dans l'univers. Elle transcendait même la réalité visible en accordant au vide une existence dont dépendait le monde tangible. Le concept de vide actif sous-tend la pensée indienne, chinoise, japonaise et ressurgit avec l'interrogation des physiciens sur la matière absente de notre univers.

Nous pouvons relire l'histoire du XXème siècle en nous posant des questions sur les artistes ayant dévalorisé le statut de l'oeuvre d'art. Certains l'ont réduit à un concept, un discours philosophique. D'autres ont créé, en accord avec une société de spectacle, un art de la mise en scène pompeuse ou dérisoire. Une logorrhée créatrice a été encouragée par un marché boulimique de l'art et le pouvoir frénétique de la mode, avec, en sus, une volonté d'afficher des images provocantes (une vieille recette de la modernité). "Everything goes" (tout fait l'affaire) était déjà le crédo des années 1980. L'objet d'art, devenu une nouvelle marchandise gadget, mais paré de son ancienne aura, soutenu par des critiques d'art opportunistes et des collectionneurs affairistes.

Nous pouvons également remarquer que les nouvelles technologies ont largement contribué à artificialiser la vie. Un nouveau langage n'est jamais neutre. Il construit notre imaginaire au quotidien. Nous devenons des sensibilités programmées pour réagir à certains stimuli. La profusion des images dans notre champ visuel nous questionne: sommes-nous encore assez réactifs pour leur opposer d'autres formes de valeurs? Pouvons-nous contester sérieusement leur pouvoir ? Dans quelle mesure une création plastique peut-elle s'affranchir de cet espace hypersaturé et illusoirement surinformé ?

L'être humain est un fragile équilibre de savoir et d'ignorance. Il éprouve un besoin vital de s'exprimer, mais s'il y a encore place pour une expression artistique, cette dernière doit s'affranchir des caractères artificiels de notre société médiatique. L'homme doit s'immerger dans sa conscience profonde et rechercher les liens essentiels qui le rattachent à un monde dont la nature reste encore mystérieuse, comme les lois qui régulent les rapports et la vie de tous les êtres vivants. Nous sommes le rien et le tout, le microcosme et le macrocosme. Il faut réveiller nos consciences endormies et retrouver, dans une esthétique de la justesse, le sentiment d'appartenance à notre qualité intrinsèque d'être cosmique.

Philippe Vacher – 2005